Les 4 et 5 Février s’est tenue à Marines la 12e édition du festival des toupies du monde, yo-yo et diabolos. Collectionneurs, fabricants et compétiteurs venus d’Italie, d’Allemagne, de Colombie, du Venezuela et du Mexique (invité d’honneur 2023) ont fait le voyage pour partager un peu de leur passion au public. Petits et grands se sont déplacés en nombre pour venir (re)découvrir ces jeux ancestraux au travers d’expositions, d’ateliers et de démonstrations très impressionnantes.
Toupies, yo-yo et diabolos, ces jouets anciens existent depuis des milliers d’années. Dans toutes les cultures, leur mouvement rotatif a de tout temps suscité la fascination chez les enfants comme chez les adultes.
La toupie
Le plus ancien spécimen de toupie a été retrouvé en Chine en 1926. Fait en argile, il serait vieux de plus de 4000 ans. D’autres exemplaires antiques ont été retrouvés en Irak, en Egypte, en Grèce ou encore en Italie. On sait par ailleurs qu’au Xe siècle, la toupie était très répandue en Asie (Chine, Corée et Japon) où sa pratique relevait déjà de l’art. Au XVe siècle, en Angleterre, les villages s’affrontent chaque année à Mardi Gras dans des courses de toupies géantes. En Allemagne, au XVIe siècle, on produit des toupies métalliques émettant une sorte de ronflement…
Une toupie se compose généralement d’un corps surmontant une pointe, qui actionnée, tourne sur elle-même, en équilibre sur son axe de rotation. La friction – cette force qui s’oppose au mouvement – finit par la ralentir puis la déséquilibrer. De sa forme, de son poids, mais aussi de la force et de l’angle donnés au lancer, ainsi que de la surface sur laquelle elle est utilisée, dépendent ses performances.
Les toupies peuvent se présenter sous différentes formes (cubique, sphérique, conique, en poire, plate) et certaines même, peuvent s’empiler les unes sur les autres. Parfois creuses, parfois pleines, elles furent tantôt fabriquées en argile, en terre cuite, ou en céramique – ces dernières, souvent percées d’un trou, peuvent recevoir une petite quantité d’eau dont le poids permet d’assurer leur équilibre –, en os (Europe), en ivoire ou en bois, tantôt en verre, en pierre, en métal, en bambou, en tissu et même en papier (origami, Japon) … De nos jours elles sont faites à partir de matériaux plus modernes tels que le plastique ou des métaux précieux (tungstène, titane, zirconium). Chaque matériau apporte au jouet une propriété particulière : robustesse, légèreté, vitesse de rotation, production d’un son… Les plus récentes, celles faites de métaux rares, peuvent ainsi tourner jusqu’à dix minutes sur elles-mêmes.
Il existe également des toupies magnétiques capables de léviter – dites levitrons. Les anagyres sont quant à elles des toupies de bois plates faites pour ne tourner que dans un seul sens.
Pour tourner, la toupie doit être actionnée ou propulsée : avec les doigts (toupies plates à plusieurs branches dites fidget ou hand spinner, toupies japonaises) ou à l’aide d’un lanceur ; il peut s’agir d’une tige en bois (sevivon, dit toupie d’Hanoucca), une ficelle (trompo, toupie espagnole) ou une lanière utilisée comme un fouet pour impulser puis maintenir le mouvement de rotation (discipline originaire de Chine).
Si elles furent tour à tour utilisées comme objets de divination – on lançait la toupie sur un support percé de trous ou muni de cases et prédisait l’avenir en fonction de l’endroit où elle terminait sa course – ou comme offrande, par exemple pour accompagner l’âme des morts dans l’au-delà (Egypte) – voire comme objet décoratif, elles servirent principalement au jeu. Leur pratique donne à présent lieu à de véritables compétitions.
Aujourd’hui plus que jamais, comme j’ai pu le découvrir sur le festival, les possibilités de jeu sont infinies. Il peut consister à la faire tourner le plus longtemps ou le plus loin possible, à s’approcher le plus près d’un mur sans le toucher, à faire tomber de petites quilles ou autres dominos (jeu du moine, toupies dominos), à exécuter des courses ou encore des combats (toupies Beyblade). Certaines produisent de la musique. D’autres permettent aux adeptes de réaliser de vraies prouesses de jonglerie et d’équilibre en les maintenant perchées et virevoltantes en haut d’un mât, en les faisant se déplacer le long d’un fil, voire sur des parties du corps dans le cadre de figures de jonglage-contact ; parfois elles sont propulsées dans les airs et finissent en rotation sur une cible (discipline venue de Taiwan)…
Démonstration par ici.
Le virolon
Des billes, placées au centre d’un plateau de jeu à trous numérotés, sont dispersées par une toupie dans les cases. Le comptage des points est effectué lorsque la toupie cesse de tourner.
Le toton
Descendant du totum – terme latin signifiant « tout » utilisé par les Romains pour désigner les jeux de hasard apparentés aux jeux de dés – le toton est un jeu pratiqué en Europe et en Orient. Il consiste à lancer une toupie composée d’un cube de bois ou d’ivoire et percé par un bâtonnet, gravé sur ses quatre faces des initiales A, D, N et T. La lettre visible sur le dessus de la toupie lorsque celle-ci arrête de tourner indique au joueur ce qu’il doit faire. S’il tombe sur la lettre A (« Aufer » – prendre), il récupère une pièce dans le pot commun ; si c’est le D (« Depone » – déposer), il doit placer une pièce dans la cagnotte ; le N (« Nihil » – rien) signifie au joueur qu’il doit passer son tour ; et enfin la lettre T (« Totum » – tout) lui permet de rafler la totalité de la mise.
Ce jeu fait l’objet d’un tableau intitulé l’Enfant au toton de Jean-Baptiste Chardin au début du XVIIIe siècle.
Les initiales figurant sur les toupies et les règles du jeu seront adaptées aux différents pays dans lesquels le toton sera pratiqué : Take, Half, Put down et Nothing pour le teetotum anglais ; Nichts, Ganz, Halb et Stell pour le trundl allemand….
La toupie de Hanoucca
De cette pratique naîtra par la suite la toupie de Hanoucca, jouet fétiche des enfants juifs pendant cette fête commémorant le miracle d’Hanoucca et la victoire de la lumière sur les ténèbres.
Elle est appelée draydel en yiddish (pour « tourner ») et sevivon en hébreu. En Israël, elle porte les lettres hébraïques N (Noun), G (Guimmel), H (Hei) et P (Pe) qui forment l’acronyme « Nès Gadol Haya Po » traduit par « un grand miracle s’est produit ici ». En dehors de l’État d’Israël, la lettre P (Pe) est remplacée par la lettre S (Shin) ; l’acronyme ainsi formé « Nès Gadol Haya Sham » signifiant « un grand miracle s’est produit là-bas » (en allusion à la Terre Sainte). A sa fonction première de jeu, la toupie de Hanoucca a en effet apporté une dimension spirituelle.
On raconte que le peuple juif d’Israël, qui s’était vu – entre autres proscriptions visant à l’éloigner de ses pratiques religieuses – interdire l’étude de la Torah par les Séleucides (occupants gréco-syriens), devait se cacher dans les forêts pour pouvoir continuer son apprentissage dans la clandestinité. Lorsqu’ils étaient débusqués par des soldats en patrouille, les enfants sortaient leurs toupies pour tromper l’ennemi en faisant semblant de jouer.
L’hypothèse a aussi été faite que les quatre initiales pourraient s’apparenter à celles des quatre grands royaumes ayant persécuté le peuple juif, avant d’être vaincus : ceux de Nabuchodonosor, roi de Babylone ; de Gog, roi du peuple de Magog ; d’Haman, vizir du royaume de Perse ; et du royaume des montagnes de Séir.
Les règles du jeu de la toupie de Hanoucca sont similaires à celles du toton dont il est dérivé, si ce n’est que la mise des joueurs est parfois constituée de pièces de monnaie, parfois de pièces en chocolat.
Les toupies Beyblade
Autre registre… Les toupies Beyblade sont des toupies en plastique personnalisables apparues au début des années 2000. Elles sont issues de la culture manga d’après un dessin animé portant le même nom. Elles s’affrontent dans des arènes ; le but étant de stopper la toupie de l’adversaire et de l’éjecter de l’arène.
Le Yo-Yo
L’origine du yo-yo est incertaine. Certains le pensent venu de Chine, d’autres en attribuent la paternité aux Philippines selon des récits du XVIe siècle rapportant que les chasseurs philippins utilisaient un système de pierre attachée au bout d’une corde pour chasser les animaux sauvages, inspirés par la technique de chasse du caméléon qui attrape sa proie en déroulant sa longue langue. Le mot même de yo-yo viendrait d’ailleurs d’un dialecte philippin ; il signifie va-et-vient.
On retrouve, dès le Ve siècle avant J.C., des représentations de yo-yo sur des vases grecs. Il semble ensuite disparaitre jusqu’au XVIIIe siècle où on le retrouve en Inde sous le nom de bandelira. De là, il voyagera jusqu’en Angleterre où on lui donnera le nom de bandalore.
Brooklyn Museum
Il sera introduit en France en 1791 par des émigrés de la Révolution Française regagnant le pays après s’être exilés outre-Manche. Ceci lui vaudra le qualificatif d’émigrette ou parfois de joujou de Normandie. Prisés par les nobles et les aristocrates – le marquis de La Fayette ou même plus tard Napoléon et ses armées n’auraient pas échappé, dit-on, à la règle – le yo-yo est alors fabriqué dans des matériaux rares et bois précieux (ivoire, ébène, acajou) et paré de pierres, d’or ou d’argent.
Il est à ce point devenu objet incontournable des salons, qu’hommes, femmes et enfants sont représentés, émigrette à la main, sur les peintures et gravures de l’époque. Un tableau attribué à la portraitiste Élisabeth Vigée-Lebrun représenterait le dauphin Louis Charles de France jouant à l’émigrette.
Devenu symbole des royalistes, l’objet est rapidement tourné en dérision au travers de caricatures, chansons et pièces de théâtre, à l’image de l’une des représentations du Mariage de Figaro de Beaumarchais en 1792. A la même époque, accompagnant la noblesse française dans sa fuite des révolutionnaires, le yo-yo gagne l’Allemagne ; c’est à Coblence principalement qu’elle se réfugie. Le yo-yo y est rebaptisé émigrette de Coblence. Les nombreux allers-retours des fuyards, réalisés entre la France et l’Allemagne au gré des évènements, continueront de susciter les railleries, alimentées par leur comparaison avec le mouvement de va-et-vient du yo-yo. On ira même jusqu’à faire le rapprochement avec la guillotine dont le couperet ne cesse alors de monter et descendre à mesure que les têtes tombent en France.
Musée des Arts Décoratifs Paris
Tombé en disgrâce, le jouet réapparaitra aux Etats-Unis en 1866 où il connaîtra un franc succès dans les années 1920, grâce à Pedro Flores, un immigré philippin qui ouvrit en Californie un atelier de production de yo-yo en bois : les Filipino yo-yo. Les philippins avaient en ce temps gagné la réputation d’être passés maitres en la matière.
En 1929, les premières compétitions officielles sont lancées par Donald Duncan. En 1930, ce dernier rachète à Pedro Flores son entreprise, puis dépose le nom de « yo-yo » et lance une production à grande échelle. Les premiers yo-yo en plastique font leur apparition en 1955. À coups de campagnes publicitaires, Ducan en fait un produit phare des années 1960. En 1962, ce sont même 45 millions d’exemplaires du fameux jouet qui sont vendus, c’est-à-dire plus que le pays ne compte alors d’habitants. Après une période de remous, le yo-yo connait un regain d’intérêt dans les années 1980, grâce aux grandes marques de soda qui le détournent à des fins promotionnelles. Depuis les années 2000, de nouveaux modèles dotés de roulements à billes, permettent de réaliser des figures des plus spectaculaires.
Le diabolo
Le diabolo est un instrument utilisé en jonglerie. Il se compose de deux cônes en plastique dont les extrémités sont fixées à un axe par un boulon, et de deux baguettes reliées par un fil, qui sont utilisées pour impulser un mouvement rotatif au diabolo, le lancer et réaliser différentes figures plus ou moins complexes.
Le diabolo serait lui aussi originaire de Chine et serait apparu il y a plus de 4000 ans. Fabriqué dans un tube de bambou creux percé de trous, il émettait un petit sifflement lorsqu’on le faisait tourner, d’où le nom de Kouen-Gen signifiant « qui fait siffler le bambou creux », qui lui était donné. Les marchands ambulants l’utilisaient pour attirer le chaland.
Importé en Europe à la fin du XVIIIe siècle, il fut rebaptisé diable en France, en raison du bruit jugé quelque peu « infernal » qu’il produisait. Il en résulterait d’ailleurs l’expression « faire un boucan du diable ».
Il y sera fabriqué en bois massif jusqu’à ce qu’en 1906, l’inventeur et ingénieur français, Gustave Phillipart, le modernise à des fins de pratique sportive, en créant un objet composé de deux cônes en métal dont les bords sont protégés par du caoutchouc, plus léger et plus maniable. C’est à cette époque que l’anglais Charles Burgess Fry, partant du nom français de « diable » et s’inspirant des termes grecs dia (en travers) et ballo (jeter), le renomme diabolo.
Très en vogue dans les quelques années qui suivirent, principalement dans les stations balnéaires françaises et anglaises, il n’en reste pas moins que cet objet est jugé dangereux. Il sera même à l’origine de quelques accidents mortels.
Il perd alors en attrait, jusqu’à ce que les Établissements Marault, une entreprise vernonnaise, s’intéressent au problème et conçoivent les premiers diabolos en caoutchouc sous l’appellation de Diavolux.
Ce n’est cependant qu’à partir des années 1980, puis dans les années 2000, qu’il revient réellement à la mode grâce aux diabolistes qui produisent de spectaculaires figures de jonglage avec deux, voire trois diabolos jetés simultanément dans les airs.
Il existe aujourd’hui des diabolos équipés de roulements à billes qui leur permettent de tourner bien plus longtemps sur leur axe, ainsi que des diabolos lumineux, ou encore des diabolos de feu, en métal inflammable et avec une ficelle en kevlar – fibre synthétique résistant à la chaleur – qui permettent de réaliser des figures toujours plus incroyables !