Les origines de Menouville remontent à l’époque mérovingienne où y était établi un atelier monétaire. Des pièces portant l’inscription Menoiovilla en attestent.
En vallée du Sausseron, ce tout petit village de 62 habitants auquel on accède par de petites routes forestières, ne manque toutefois pas de charme.
Les bâtisses les plus remarquables sont les vestiges d’une ferme-manoir dont les plus anciens bâtiments remontent au XVe siècle, composés d’un mur d’enceinte, d’un porche et d’un magnifique pigeonnier octogonal du XVIe siècle, organisés autour d’une grande cour rectangulaire complètement fermée. Les mentions de « maître de poste, bourrelier, maréchal-ferrant et charron » présentes sur la porte charretière et la fenêtre attenante, qui était à l’origine une porte piétonne, ont été apposées à l’occasion du tournage d’un film dans le village (merci à Delphine pour cette précision).
Non loin de là, un chemin de randonnée part dans les sous-bois. Soudain s’offre à la vue, au-dessus du mur d’enceinte que l’on continue de longer, une surprise de taille… Intriguée j’ai bien sûr cherché à connaître l’origine de ces monumentales arches surmontées de statues. J’ai lu quelque part qu’il s’agirait des quatre saisons, à confirmer…
Ce monument appartient au domaine de Balincourt.
Classés monuments historiques, le château et le parc de Balincourt sont une propriété privée, qui n’est pas ouverte à la visite, ce qui est fort dommage car ce que j’en ai appris par la suite m’a personnellement donné très envie d’aller le découvrir…
Le domaine de Balincourt se situe à cheval sur le territoire des communes d’Arronville, de Menouville, et de Theuville. Le château fut construit vers 1780 par l’architecte des Menus Plaisirs, Denis-Claude Liégeon, pour Charles-Louis Testu de Balincourt, maréchal de camp sous le règne de Louis XVI. Il s’agit d’un château de style classique doté de deux ailes latérales, sa façade nord donnant sur la cour d’honneur est ornée de colonnes ioniques et d’un fronton triangulaire. Des niches accueillent six pots-à-feu, vases de pierre surmontés d’une flamme. L’architecte est également à l’origine des premiers aménagements réalisés dans le parc, à savoir une orangerie et une chapelle. C’est ici que se tiendront les messes car, chose rare, le village ne dispose pas d’église. Une statue colossale du maréchal de Balincourt, oncle de Charles-Louis Testu lui ayant légué le domaine à sa mort, est érigée en souvenir près du château. Exécutés sous la Révolution française, les Balincourt auront peu profité du château.
En 1803, Pierre Riel de Beurnonville fit l’acquisition du domaine. Celle qu’il épousera deux ans plus tard, Félicité-Louise-Julie-Constance de Durfort, fit réaliser quelques réaménagements intérieurs de style Empire. La propriété restera pendant un siècle au sein de la famille de Beurnonville.
Elle sera rachetée en 1908 par Léopold II, Roi des Belges, comme présent à sa jeune maitresse Blanche Delacroix, baronne de Vaughan. Il y fait réaliser à grands frais par Raffaële Maïnella, aquarelliste, décorateur, architecte et paysagiste italien, de somptueux remaniements intérieurs mêlant avec goût des éléments du XVIII et du XXe siècle. Une salle de bains en porphyre (roche magmatique souvent rouge, parcourue de cristaux clairs) équipée d’une baignoire en argent massif sera installée, une piscine pavée de carreaux de mosaïque d’azur et d’or sera creusée dans le sous-sol du château. Dans les jardins à la française, Maïnella, surnommé le « Mage des Jardins » fait élever une chapelle de style grec, ainsi que plusieurs fabriques, une tour gothique, une fausse ruine, une loggia mauresque… Des statues seront importées d’Italie. Il réalisera également divers aménagements hydrauliques dans le parc, tels que le creusement d’un canal et d’un bassin. Le roi Léopold II décèdera un an après avoir fait l’acquisition du domaine.
La baronne de Vaughan se sépare du domaine en 1915. Sir Basil Zaharoff, marchand d’armes et magnat de la finance grec, l’acquiert pour la somme d’un million de francs-or. Reconnu comme l’un des hommes les plus riches et influents de son époque, proche d’Aristide Briand et de George Clémenceau, Zaharoff est un personnage mystérieux et controversé qui partagera son temps entre le domaine de Balincourt et Monte-Carlo. Qualifié de tous les surnoms (fomentateur de conflits, pourvoyeur de tous les charniers du monde, pieuvre insinuant partout les tentacules de ses entreprises, mais aussi un des plus grands génies du temps, l’as des as) c’est un véritable opportuniste et, doué d’influence, il n’hésitera pas à alimenter les tensions entre les nations pendant la première guerre mondiale. Il vendra notamment à plusieurs pays ennemis un même modèle de sous-marin à vapeur.
Dans les années 20, il s’engouffre dans le filon du pétrole.
En 1924, il épouse à Balincourt Maria del Pilar Muguiro y Beruete, duchesse de Villafranca de los Caballeros, qu’il aurait rencontré trente-cinq ans auparavant à bord de l’Orient Express. Celle-ci, catholique, alors mariée à Francisco María de Borbón-Braganza y Borbón, membre de la famille royale espagnole, refusa de divorcer de son mari qui souffrait par ailleurs de troubles mentaux. Ils attendirent ainsi plus de trois décennies pour s’unir, à la mort de ce dernier.
Principal actionnaire de la Société de Bains de Mer de Monaco dont dépendait par ailleurs le Casino de Monte-Carlo, Zaharoff se prend de la folle idée d’acquérir pour sa femme le Rocher de Monaco, afin de l’élever au rang de princesse. Proche du prince Albert 1er de Monaco, puis à sa mort, de son fils Louis II qui semble plus s’intéresser à sa carrière militaire qu’à la gestion de la principauté, Zaharoff pense pouvoir assouvir son ultime rêve en proposant à ce dernier une somme colossale. Quelle ne fut pas sa désillusion lorsque Louis II refusa catégoriquement de se défaire de son héritage familial. Pour se venger, Zaharoff jouera de son pouvoir sur la presse pour faire paraitre des articles calomnieux à l’encontre du prince, qui usera en retour de sa propre influence auprès des grands éditoriaux pour rétorquer. Ce n’est qu’en 1926, lorsque Maria del Pilar décède, que cessera l’animosité entre les deux hommes.
Fou de chagrin d’avoir perdu l’amour de sa vie, Zaharoff liquide l’ensemble de ses activités et se lance dans la rédaction de ses mémoires. Tous les grands de ce monde, qui ont eu affaire de près ou de loin avec Zaharoff, tremblent des révélations compromettantes qui pourraient y être dévoilées. Mais le manuscrit est dérobé par un domestique, qui souhaitait probablement en tirer bénéfice, avant d’être récupéré par la police et restitué à son auteur. Las de tous ces tumultes, celui-ci mettra un terme aux inquiétudes de nombreux politiques et industriels en jetant l’ouvrage aux flammes.
Zaharoff meurt en 1936. Il est enterré à Balincourt dont hérite Maria de los Angelos de Borbón y de Muguiro, la plus jeune des trois filles issues du premier mariage de Maria del Pilar. Filles dont on suppose que le véritable père n’était autre que Zaharoff. Celle-ci prendra le titre de Dame de Balincourt. Les descendants de sa fille unique Anne, les Aubert de Saint-Georges du Petit-Thouars, sont les actuels propriétaires du domaine.
Le sulfureux Zaharoff inspirera à Hergé le personnage de Basil Bazaroff dans son album de Tintin, l’oreille cassée.
Pour en apprendre plus sur Zaharoff, n’hésitez pas à consulter l’article de Jean-Marie Moine.
A la sortie de Menouville, se trouvent un grand bassin ombragé et un lavoir semi-couvert enchâssé dans le mur d’enceinte du domaine de Balincourt. Le Sausseron en sort par une ouverture en demi-lune pour aller rejoindre juste de l’autre côté de la route un ancien moulin.
Euh non. L’inscription maître bourrelier sur la ferme de Menouville est un vestige de tournage. Le chef déco avait ajouté des peintures sur la porte et les volets pour donner plus de réalisme à son décor. Il y a beaucoup de tournages dans le coin. Mais ce n’est ni authentique, ni d’origine.
Merci Delphine pour cette précision dont je n’avais pas connaissance. Je la prends en compte et effectue la correction de ce pas !